DÉTERGENTS SANTÉ – Des DÉTERGENTS Responsables des Mutations Sexuelles chez les Poissons
DÉTERGENTS SANTÉ – Des DÉTERGENTS Responsables des Mutations Sexuelles chez les Poissons
Détergents
Des détergents responsables des mutations sexuelles chez les poissons
Auteur:Louis-Gilles Francoeur
Résumé
Plusieurs détergents domestiques et industriels, qui contiennent des surfactants, pourraient être les principaux responsables des altérations importantes du système reproducteur des poissons du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais, où des signes sérieux de féminisation des mâles ont été observés chez certains poissons sentinelles.
Textes associés
- Le sexe des poissons : Daniel Green s’interroge sur le travail d’Ottawa (17.02.2004)
- Pollution – Mutations sexuelles chez les poissons du Saint-Laurent (16.02.2004)
- Dossier(s) Écologie – AOL/Le Devoir
C’est ce qu’a affirmé David Marcogliese, de la Direction de la conservation du milieu au Centre Saint-Laurent d’Environnement Canada, en entrevue au Devoir. M. Marcogliese est un des signataires de l’étude publiée par des chercheurs de l’Institut Armand-Frappier dans la revue Toxicological Sciences, divulguée dans nos pages lundi. Cette étude révèle que le tiers des poissons sentinelles mâles, le queue à tache noire, ont développé en aval de l’usine d’épuration de Montréal des ovaires à l’intérieur de leurs organes génitaux et que leurs caractères reproducteurs mâles tendent à s’atténuer sensiblement. De plus récentes études, réalisées cette fois dans l’Outaouais, en amont de Montréal, ont permis de déceler des organes féminins en train de se développer à l’intérieur des organes mâles chez 50 % des spécimens. On retrouve des villes et des papetières en amont de ces sites d’échantillonnage.
Plusieurs types de détergents domestiques et industriels, ainsi que plusieurs familles de pesticides, contiennent des surfactants de la famille des nonyl-phénols. Un surfactant est un produit chimique qu’on introduit dans des liquides, comme des savons ou des détergents, pour en abaisser la tension superficielle, ce qui en augmente les propriétés mouillantes. C’est ce qui fait que certains détergents pénètrent et délogent plus facilement la saleté que l’eau pure. On les utilise aussi dans les formulations de pesticides afin que, dès la première pluie, ces toxiques s’éliminent des végétaux pour réduire rapidement les risques d’absorption. Ces détergents ont aussi plusieurs usages industriels, ce qui explique, indique le chercheur, qu’on les retrouve maintenant dans les sédiments des cours d’eau en aval des effluents des usines d’épuration et des grandes industries comme les papetières.
Ces contaminants imitent les messages chimiques d’un système hormonal normal, dans lequel les faux messages induits par des contaminants oestrogéniques peuvent provoquer des altérations du système de reproduction, des cancers et des malformations congénitales.
À court terme, indique M. Marcogliese, c’est dans le Richelieu que seront réalisées les prochaines recherches sur la présence de contaminants oestrogéniques au cas où leur présence dans l’eau pourrait expliquer les problèmes de reproduction de la seule espèce menacée de nos eaux, le chevalier cuivré. Le Centre Saint-Laurent d’Environnement Canada, avec ses six chercheurs, devra cependant s’affilier au puissant centre ontarien de Burlington, où Environnement Canada concentre ses investissements en recherche pour finir par savoir ce qui se passe… ici ! Les chercheurs ont obtenu une aide financière du Fonds de récupération de la faune pour mener ce projet à terme.
Pour l’instant, explique de son côté Raymond Chabot, de la Direction de la protection du milieu d’Environnement Canada, deux autres études viennent de confirmer l’existence d’altérations du système reproducteur de certaines espèces aquatiques, provoquées par les «imposteurs», ou modulateurs endocriniens.
Une de ces études a permis de relever des phénomènes de féminisation des mâles et d’altérations aux systèmes reproducteurs de deux espèces de moules. Cette étude a une fois de plus confirmé l’intensité du phénomène en aval de l’émissaire de l’usine d’épuration de Montréal. Elle a été réalisée par deux chercheurs d’Environnement Canada, François Gagné et Christian Blaise.
La deuxième étude est une synthèse des 48 études soumises par l’ensemble des 52 papetières du Québec depuis six ans dans le cadre du «cycle 2» du suivi environnemental réglementaire qu’elles doivent réaliser aux trois ans pour déterminer la nature, l’ampleur et les causes probables des impacts de leurs rejets en aval de leur effluent. C’est en vertu de la Loi sur les pêches qu’a été adopté le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papier. Cependant, ce n’est pas Pêches et Océans Canada mais bien Environnement Canada qui l’administre, simultanément avec la Loi canadienne sur la protection de l’environnement : les autorités fédérales veulent ainsi éviter les failles réglementaires et administratives d’une gestion bicéphale, comme celle qui caractérise la gestion québécoise de l’environnement et de la faune.
Selon ce rapport-synthèse daté de décembre dernier, on note deux phénomènes assez généralisés parmi les papetières du Québec. Les poissons sont plus gros en aval des papetières, ainsi que le démontre le poids moyen des foies, ce qui s’expliquerait, selon Raymond Chabot, par une concentration plus forte de nutriments dans l’eau. Ces nutriments augmentent la disponibilité de la nourriture mais tendent à faire vieillir prématurément le cours d’eau par la prolifération de matière organique.
Par contre, si le poids moyen des poissons augmente, les chercheurs constatent «une diminution du poids relatif des gonades en zone d’exposition», un phénomène aussi observé en aval des papetières ailleurs au Canada, où le règlement fédéral exige un suivi triennal identique.
Selon les experts, note le rapport, cette réduction de la taille des organes sexuels confirme l’existence d’une «perturbation du système endocrinien des poissons», qui se manifeste par une réduction des gonades (testicules chez les mâles et ovaires chez les femelles). «Ces résultats, précise le rapport, sont cohérents lorsqu’ils sont analysés selon le sexe ou selon que les poissons sont immatures ou adultes. Toutefois, le type et la fréquence des réponses [aux contaminants] sont très variables selon la famille de poissons retenue. Les résultats indiquent qu’il y a des espèces plus sensibles aux effluents des papetières que d’autres, et il faudrait en tenir compte lors du choix des espèces sentinelles des prochains cycles. En milieu marin, les mollusques exposés aux effluents présentent des poids de chair plus élevés que leurs congénères en zone de référence, ce qui suggère aussi un effet d’eutrophisation du milieu.»
Les chercheurs espèrent que la série de données du troisième rapport triennal soumis par les papetières, qui fait actuellement l’objet d’une analyse à Environnement Canada, permettra de départager la responsabilité des papetières et des rejets municipaux dans cette affaire.
Cependant, précise Raymond Chabot, le protocole de recherche imposé aux papetières pour le quatrième rapport triennal, qui s’amorcera au cours des prochains mois, ne contient pour l’instant «aucune exigence» pour qu’elles essaient de déterminer les impacts des contaminants oestrogéniques en aval de leurs effluents malgré l’importance des phénomènes mis en lumière par les récentes recherches.
SOURCE
Le Devoir.com. Dossiers 273, articles, [http://www.ledevoir.com/dossiers/273/articles.html]